La réforme des retraites de 2014 a décidé de la mise en place du « compte personnel de préven­tion de la pénibilité » (C3P). Ce nouveau dispositif ne va pas sans susciter à son tour des débats, et des réflexions parfois délicates sur les raisons et la façon de « rendre compte » de la pénibilité – pour reprendre le titre du présent dossier.

Couverture de Retraite et société n°72 - Pénibilité : un compte à rendre

Prendre en compte la pénibilité : une idée qui ne va pas de soi

La pénibilité n’a pas d’emblée été évoquée lors des réformes successives de 2003, 2010 et 2014. L’argument était plutôt : « Puisque la durée de vie augmente, il faudra bien que l’on travaille plus longtemps ». Simple dans sa formulation, il a été largement convoqué.

Une question est de savoir si les mesures prises vont allonger en effet la période où l’on « travaille », ou bien celles de multiples situations de non-emploi, dans l’attente de la retraite : chômage, invalidité, préretraites (y compris celles financées directement par des entreprises), longue maladie, etc.

Un lien entre âge de départ en retraite et espérance de vie ?

Un autre terme, dans ce même argument, est le « puisque ». Est-ce bien le lien à établir entre l’espérance de vie et la date de la retraite qui justifiait l’urgence des réformes ? L’élévation de l’espérance de vie est une tendance de long terme. En France, elle est bien antérieure aux années 1980 qui ont pourtant vu l’abaissement de l’âge minimum de la retraite à taux plein.

Financer la retraite malgré le baby-boom

Les difficultés de financement des pensions ont pour cause démographique, non pas la longévité, mais les variations de la natalité dans la deuxième moitié du XXe siècle. Les premiers baby-boomers ont atteint l’âge de la retraite vers 2005. Le nombre annuel de nouveaux retraités est alors passé de 480 000 à 650 000, en ordre de grandeur. Or, ce niveau de flux va se maintenir jusqu’en 2035 environ. La mobilisation des données démographiques dans la politique des retraites est donc légitime.

Qui doit vraiment travailler plus longtemps ?

Une troisième interrogation (celle qui a fondé les débats sur la pénibilité) remet en cause le caractère uniforme de l’énoncé. Qui est ce « on » qui doit travailler davantage parce que la vie est plus longue ? N’y a-t-il pas des catégories de population pour lesquelles la durée de vie est moindre que pour d’autres ? Le travail est-il impliqué dans ces disparités ? N’est-il pas, aussi, en cause dans la santé et la qualité de la vie pendant la retraite ? Si c’est bien le cas, n’est-il pas justifié de compenser une part de ces déséquilibres en ouvrant des droits à un départ plus précoce ? Par ailleurs, les politiques publiques doivent-elles intervenir plus activement dans le champ de la prévention de cette pénibilité ?

En réunissant des connaissances et des travaux menés dans différentes disciplines (histoire, droit, ergonomie, statistique, économie…), ce dossier a pour objectif d’enrichir la compréhension des enjeux du C3P, qu’il s’agisse du « compte » lui-même ou de sa place dans les politiques sociales.

Au sujet des coordinateurs

Annie Jolivet est économiste, chercheuse au Créapt (Centre de recherches et d’études sur l’âge et les populations au travail – Centre d’études de l’emploi).

Serge Volkoff est statisticien et ergonome, spécialiste des relations entre l’âge, le travail et la santé. Il est chercheur au Créapt (Centre de recherches et d’études sur l’âge et les populations au travail – Centre d’études de l’emploi).

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