Cet extrait est tiré d'un entretien publié dans le numéro 68 de Retraite et société sur la défense des droits des personnes âgées. L'entretien a été réalisé par Marie Mercat-Bruns (Sciences Po, Paris). Dans cet entretien, Maryvonne Lyazid revient sur le rôle du Défenseur des droit et inscrit la réforme de la loi de 2007 (loi portant réforme de la protection juridique des majeurs) dans un cadre plus large en insistant sur une vision citoyenne des personnes âgées, titulaires de droits fondamentaux comme tout un chacun. Au moment de l’entretien Maryvonne Lyazid occupait les fonctions suivantes : adjointe du Défenseur des droits, vice-présidente du collège chargée de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité.
Le Défenseur des droits intervient-il en matière de droits et libertés des personnes âgées ? Et à quel titre ?
Maryvonne Lyazid : Dès la prise de fonction de Dominique Baudis et la mienne, nous avons considéré que la question de l’avancée en âge ne nécessitait pas un traitement spécifique au regard des droits et libertés. Toute personne est citoyenne jusqu’au bout de sa vie. Par contre, le rôle du Défenseur est plutôt de savoir comment, au travers de l’ensemble de ses missions, il peut avoir une attention particulière, mais spécifiquement dans le cadre du corpus de droit existant : la Convention européenne des droits de l’homme, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, nos propres textes ainsi que la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées… Fin 2011, j’ai proposé qu’on indique que le Défenseur, au travers de toutes ses missions, était concerné par l’avancée en âge à la fois au titre de la protection des droits et au titre de la promotion des droits afin qu’il y ait des réponses collectives aux problématiques récurrentes qu’on observait dans les saisines : problèmes d’accès au droit et pratiques discriminatoires vis-à-vis des personnes âgées. Nous les avons alors synthétisées autour de quatre thèmes principaux :
Le premier thème représente en quelque sorte les « anciennes » fonctions du médiateur : le problème de l’âge et des droits sociaux comme la question des retraites qui représente un tiers des dossiers traités par le pôle social du Défenseur, notamment à cause des réformes successives, des carrières de plus en plus heurtées, des polypensionnés, etc. Compte tenu de la conjoncture, et sur ce thème en particulier, il n’y aura pas de décroissance des saisines.
Le deuxième thème concerne le pôle santé, où l’on a constaté une évolution rapide des réclamations concernant des actes de négligence ou de maltraitance. Malgré le contrôle institutionnel, et notamment celui des ARS qui reste encore insuffisant, nous avions observé qu’il y avait encore des espaces de non-droit dans les établissements. À la suite de ce constat, nous avons donc entrepris des enquêtes dans les Ehpad et établi une recommandation et organisé une table ronde.
Le troisième thème est relatif aux pratiques discriminatoires. Depuis 2005, les discriminations à l’âge représentent plus de 3 000 réclamations à la Halde, puis chez le Défenseur, soit environ 6 % des réclamations (avec l’âge on est au même niveau que les discriminations syndicales). Les trois quarts de ses saisines étaient référées aux questions d’emploi et de formation professionnelle. Quant aux droits et services, il s’agissait des difficultés de l’accès au logement, aux crédits et aux assurances.
Dernier thème : le droit des enfants. En effet, 4 % des réclamants dans le cadre de la mission « droit de l’enfance » sont des grands-parents. Il peut s’agir d’une demande de maintien des liens en cas de conflit avec leurs enfants, d’une contestation d’un placement en famille d’accueil, d’allégations de danger chez les parents (avec toutes les problématiques de famille recomposée)…
Que pensez-vous de l’idée de vulnérabilité qui est parfois contestée comme étant stigmatisante ?
Maryvonne Lyazid : Tout le mouvement des gériatres a défendu ces notions au niveau international, mais il faut voir dans quel champ on utilise ce mot, si cela se réfère à toute la problématique de l’épidémiologie (vulnérabilité et fragilité)… Toute personne humaine est citoyenne de son pays et de l’identité supranationale et il faut savoir comment on soutient ces capacités à faire valoir ses droits et à jouir de ses droits pour que la vie soit de la meilleure qualité possible. Certaines personnes dont l’objectivisation de leur situation fait qu’elles peuvent rencontrer des limites dans l’accès à leur droit, l’effectivité de leur droit ou la compréhension (empowerment), mais c’est tout autant des stratégies d’accompagnement que des stratégies pour faire évoluer les organisations pour qu’elles s’adaptent aussi à la pluralité des besoins telle qu’elle s’exprime et que nous ne soyons plus dans une organisation élitiste où seule la personne diplômé comprend comment remplir son dossier Caf.
Le défaut français est bien de catégoriser les personnes (handicapés, personnes âges, exclus, etc.) et, parallèlement, d’euphémiser les termes de plus en plus en parlant de « vulnérables » ou de « fragiles », ce qui est tout aussi détestable que de catégoriser. Il faut avoir une vision citoyenne de la personne et mettre en place des stratégies d’accompagnement de ladite personne pour qu’elle puisse opérationnaliser ses droits avec des organisations qui évoluent. Si vous voulez, nous sommes dans un paradoxe où les gens réclament de plus en plus d’individualisation, chacun se sentant singulier, et pourtant, nous sommes de plus en plus dans un traitement de masse : il y a donc une tension. On trouve un équilibre à travers les organismes de protection sociale qui traitent 95 % des dossiers. Les 5 % restant ont besoin de cette individualisation. Le problème est que l’on traite la situation en aval et pas en amont, c’est-à-dire bien souvent quand les situations se sont aggravées. Il faudrait s’interroger sur comment faire remonter de l’individualisation en amont. La solution se trouve sûrement dans les procédures à mettre en place, c’est à ce niveau que l’on peut gagner en efficacité, mais il y a encore beaucoup de résistance institutionnelle. Les capacités qui pourraient être utiles pour faire évoluer des systèmes ne sont pas utilisées, souvent par manque de confiance. C’est dans la réponse à la situation complexe que l’on est capable de tester une organisation.
Quand au rôle du juge, si l’on regarde dans les pays voisins comme l’Allemagne (qui a six fois plus de juges des tutelles), on se rend compte que les restrictions à la liberté d’aller et venir sont soumises au juge. Le problème en France est qu’on ne se rend pas compte qu’on limite les droits des personnes et que nous n’avons pas l’outil judiciaire pour progresser. Sur 800 000 mesures de protection, on a seulement 80 juges des tutelles, sans compter que, notamment dans les établissements publics, les salariés se retrouvent juge et partie. Je compte beaucoup sur le projet de loi pour que l’on progresse sur l’idée que les gens sont dépositaires de leurs droits fondamentaux jusqu’au bout de la vie, et pour que ce qui paraît être des mesures banales devienne des mesures extraordinaires de limitation des libertés. Si une personne ne signe pas son admission ou son contrat de séjour en établissement, c’est une limitation des libertés. Il y a de la pédagogie à faire de ce côté. On peut envisager et imaginer comment aller vers un système allemand, mais il s’agit d’un horizon à 10 ans. Dans un premier temps, il faut faire progresser cette appréhension : les gens en Ephad ne sont pas que des bénéficiaires d’une démarche qualité. Dans cette pédagogie, je réintroduis la proposition de Jean-Michel Delarue : les Ephad ne sont pas des lieux « privatifs » de liberté, il n’y a donc pas de raison qu’intervienne un contrôleur. En revanche, il doit y avoir une prise de conscience qu’un certain nombre d’actes posés en établissement sont des actes privatifs de liberté potentiellement : une admission non signée, une contention non expliquée, etc.
Vous pouvez retrouver la totalité de cet entretien dans le numéro 68 de Retraite et société.