Cet extrait est tiré d'un entretien « Aptitudes fonctionnelles, environnement et données probantes pour vieillir en bonne santé » publié dans le numéro 76 de Retraite et société ; il a été réalisé en juin 2016 par Thibauld Moulaert (université de Lorraine) à Brisbane (Australie), lors de la 13th Global Conference of the International Federation on Aging. Alana Officer est Senior advisor au département « Vieillissement et qualité de vie » (Ageing and lifecourse) à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 2014 et John Beard est directeur du département depuis 2009 et responsable, à l’OMS, de toutes les actions en matière de vieillissement de la population.
Alana, vous avez coordonné le rapport mondial sur le vieillissement et la santé (OMS, 2016), en octobre 2015, avec l’appui de John. En tant que responsables de ce rapport, pouvez-vous décrire ses liens avec des textes plus anciens de l’OMS, comme le document « Vieillir en restant actif : un cadre d’orientation », paru en 2002, ou le « Guide mondial des villes-amies des aînés » (OMS, 2007), paru en 2007 ?
Alana Officer : J’ai écrit le dernier chapitre du rapport qui porte sur l’environnement. C’est une nouvelle manière de concevoir l’environnement, très en lien avec la démarche que nous avions amorcée en 2007 avec les villes-amies des aînés (Vada), qui prolongeait l’approche du « vieillissement actif » de 2002. Mais il y a eu quelques menus changements.
Effectivement, on note dorénavant une priorisation du « vieillissement en bonne santé », aux dépens du « vieillissement actif ». Votre rapport rappelle ainsi l’importance des systèmes de santé (chapitre 4), des systèmes de soins de longue durée (chapitre 5) et des environnements (chapitre 6).
Alana Officer : La notion de « santé » manquait en fait, même si elle était dans les trois piliers du « vieillissement actif » (aux côtés de la « sécurité » et de la « participation »). Le rapport se devait d’être lu et compris par les principaux acteurs (stakeholders1), c’est-à-dire les États et les ministères en charge de la santé. On aurait pu commencer par la question de l’environnement (chapitre 6), et l’approfondir dans un second temps. C’est d’ailleurs ce qu’on avait fait initialement. Mais notre audience n’était pas prête à aborder la problématique sous cet angle. Cela constituait même plutôt un frein.
De mon point de vue, l’environnement, c’est tout. Mais je n’étais pas le destinataire de ce rapport. Celui-ci devait avoir un impact ciblé pour améliorer la situation des personnes âgées, toucher les gens importants. C’est donc pour cela que l’on a commencé par des éléments concrets, qui sensibilisent leurs destinataires, soit : les systèmes de santé et de soins de longue durée. D’autant plus que ces éléments avaient disparu de l’agenda politique. Il fallait donc les remettre en valeur. Puis, seulement, parler des autres aspects de l’environnement qui viennent les appuyer. Donc c’était une stratégie pour atteindre notre audience.
John Beard : De manière générale, et cela dépasse les « villes-amies des aînés », il y a d’importantes lacunes dans la connaissance du vieillissement. Si l’on reprend le « cadre d’orientation » du vieillissement actif en 2002, le problème est que le terme a fortement été appliqué au maintien des travailleurs âgés sur le marché du travail, à l’âge de la retraite et pas tant à la participation ni aux activités. C’est certes une question légitime, ce n’est qu’une petite partie du débat. Celui-ci devrait plutôt porter sur la manière dont on peut soutenir les aptitudes des individus à faire les choses qui sont importantes pour eux. En outre, la question de la santé a été totalement évacuée de l’agenda politique dans de nombreux pays. À travers notre rapport, l’idée était de proposer un nouveau cadre pour repenser ces enjeux, en insistant davantage sur la recherche et les connaissances.
Pour transformer notre vision du vieillissement, vous avez parlé de la « vision de l’entrepreneur ». N’est-ce pas une conception « occidentaliste » ?
John Beard : Il s’agissait de rompre avec les stéréotypes, notamment l’âgisme, selon lesquels les aînés seraient inactifs. Il ne s’agit pas d’imposer à quiconque une manière de faire, mais au contraire de donner aux aînés la capacité d’inventer leur propre vie et, à la société, son futur. Nous ne pouvons pas prédire ce que celle-ci sera dans vingt ans. Je crois que c’est vrai, peu importe l’endroit où vous habitez. Si on donne les capacités d’agir à des personnes vivant dans un village africain, elles inventeront ce qui est bon pour elles. Ce n’est pas à nous de dire ce qu’elles doivent faire. Je ne pense pas que ce soit une vision occidentale. En tout cas, il s’agit d’arrêter de croire que les aînés sont vulnérables, dépendants ou qu’ils constituent un poids pour la société, ou bien encore qu’ils devraient continuer de travailler. Il s’agit de leur donner la capacité d’inventer d’autres pistes. Dans notre définition des aptitudes, nous essayons d’encourager la capacité de gérer sa propre vie (self-management) et de prendre ses responsabilités. Je pense qu’il est préférable que les gens aient l’opportunité d’avoir le contrôle de leur vie, plutôt que ce soit l’État qui dise ce qu’ils doivent faire. Mais bien sûr, en parlant de self-management, on risque de « blâmer la victime » ou de forcer les gens. En Australie, d’où je suis originaire, si vous roulez à vélo, vous devez porter un casque, c’est la loi ; pour moi, c’est donc quelque chose de normal. Je pense que ce n’est pas le cas dans la plupart des pays européens. Faut-il forcer les gens à s’occuper d’eux-mêmes dans ce cas-là ?
Vous pouvez retrouver la totalité de cet entretien dans le numéro 76 de la revue Retraite et société