Cet extrait est tiré d'un entretien publié dans le numéro 73 de Retraite et société ; il a été réalisé par Isabelle Bridenne (Caisse des dépôts). Pierre-Louis Bras est président du Conseil d'Orientation des Retraites (COR); il revient sur les missions et les objectifs du COR et évoque notamment l'apport que constitue la recherche sur la retraite pour celui-ci.
Pensez-vous que les études et recherches menées en matière de retraite apportent suffisamment d’éléments au débat sur la retraite ?
Pierre-Louis Bras : Elles sont indispensables pour asseoir les débats. Le principal objectif du COR est d’arriver à un diagnostic aussi partagé que possible sur les retraites, la situation actuelle et les perspectives. Cela passe par la multiplication des études et recherches sur le sujet.
Beaucoup de progrès ont été faits depuis une quinzaine d’années en termes de sources statistiques, sous l’impulsion notamment de la Drees créée fin 1998 peu avant le COR, qui gère les échantillons interrégimes de cotisants et de retraités, et les efforts des principaux régimes dont la Cnav, et – ce qui en découle – d’outils de simulation et de projection : en particulier, développement de modèles de microsimulation à l’Insee, à la Cnav, à la Drees, etc.
L’amélioration des sources statistiques permet d’accroître le nombre d’études de qualité en matière de retraite, dont profite pleinement le COR. La poursuite du développement des données interrégimes, avec le répertoire d’échange interrégimes de retraite (EIRR) créé en 2009 et les travaux en cours coordonnées par le GIP Union Retraite dont ceux relatifs au futur répertoire de gestion des carrières uniques (RGCU), constitue à cet égard un réel enrichissement.
Identifiez-vous des sujets dans le domaine de la retraite sur lesquels les études, les données seraient insuffisantes ou pas assez diffusées ?
Compte tenu des réformes des retraites depuis une vingtaine d’années, la question des comportements de départ à la retraite, plus précisément celle de la transition entre l’emploi et la liquidation des droits à la retraite, dans un contexte d’évolution des règles en matière de retraite, a pris beaucoup d’importance. Le sujet est délicat car il faut un minimum de recul pour apprécier par exemple dans quelle mesure les personnes sont incitées à reporter leur date de départ à la retraite suite à l’introduction de décotes, face à l’allongement de la durée d’assurance requise pour le taux plein, ou encore suite au relèvement des âges légaux de la retraite. C’est pourquoi le COR, avec la Drees, la Cnav, la DSS et, plus récemment, la Caisse des Dépôts et le Service des retraites de l’État, a lancé une enquête sur les motivations de départ à la retraite ; nous sommes à la quatrième vague de cette enquête.
Plus généralement, le recul manque encore pour apprécier pleinement les effets des dernières réformes de retraite, mais la connaissance a progressé tant au niveau des principaux régimes de retraite que dans une vision plus globale avec les études de la Drees en particulier (cf. étude récente sur les effets sur les âges des réformes successives par exemple). L’approche par génération mériterait d’être davantage systématisée. Compte tenu de la prépondérance des questions financières, ce que l’on peut comprendre, l’approche par année est privilégiée, notamment pour apprécier les soldes financiers des régimes de retraite. Elle est également justifiée par l’organisation des bases de données de gestion. Or, les problématiques d’équité entre générations ou encore le fait que les principaux paramètres des régimes de retraite soient définis par génération – et c’est une bonne chose – justifient d’aborder les questions de retraite par génération.
Les études sur les régimes de fonctionnaires, et plus largement les régimes spéciaux, mériteraient également d’être davantage développées. La réforme des régimes spéciaux en 2008 semble ainsi assez méconnue des Français (d’où la séance du COR de mai 2016 consacrée à ce thème). Il est vrai que l’organisation des études à la Cnav est plus ancienne et que, de ce fait, les travaux du COR ont d’abord beaucoup porté sur le champ des salariés du secteur privé.
Plus récemment, d’importants moyens ont été mis en œuvre à la Caisse des Dépôts et au Service des retraites de l’État pour développer les outils et les études. De fait, il apparaît un certain rééquilibrage ces dernières années au niveau des études entre secteur privé et secteur public : le traitement de la question des écarts entre régimes (public/privé) a notamment progressé.
Mais il reste d’autres sujets sur lesquels des approfondissements seraient bienvenus. Je pense notamment aux relations retraites / activité / chômage. À cet égard, on peut encore progresser dans la connaissance de l’influence des dispositifs de retraite sur les comportements d’activité des seniors et sur l’évolution du chômage aux âges élevés, mais il serait particulièrement utile d’approfondir les conséquences d’un report de l’âge, de cessation d’activité sur l’emploi des autres catégories d’âge notamment des jeunes.
Le COR a contribué à poser les termes du débat sur l’équité entre générations en matière de retraite mais ce n’est là qu’un aspect de l’équité entre générations. Le thème d’une « jeunesse sacrifiée » est souvent mis en avant par divers commentateurs, ce qui renvoie en creux a l’idée d’une « vieillesse privilégiée ». Or il me semble que nous manquons d’éclairages pour poser correctement cette question de l’équité entre générations.
Vous pouvez retrouver la totalité de cet entretien dans le numéro 73 de Retraite et société.